Espion(s), de Nicolas Saada * * *

Les Cahiers du cinéma demeurent décidément un vivier de cinéastes : sans remonter aux glorieux anciens de la Nouvelle Vague, après les récents films de Thierry Jousse ou Cédric Anger, c’est Nicolas Saada qui surprend avec un bon film d’espionnage, rempli de promesses, et témoin d’une haute idée du septième art.

Vincent et Gérard travaillent à Roissy, et ont la détestable habitude d’ouvrir des valises pour y empocher quelques objets de valeur repérés en les faisant passer au détecteur. Un jour Gérard, malgré les inquiétudes de Vincent, ouvre une valise diplomatique syrienne pour y voler un flacon de parfum. Pas de chance : le parfum était un explosif. Gérard en meurt ; Vincent, qui en sait trop, se retrouve apparemment traqué par les Syriens ; aussi la DST lui sauve la mise en l’envoyant en savoir plus en Angleterre, où il doit rencontrer en contact avec un industriel suspect, Peter Burton, et avec sa femme, Claire, une française. « Je suis un agent ? » demande Vincent ; « vous êtes une source », répond Simon, son officier traitant. Mais le goût pour l’action et l’autonomie de Vincent va resurgir.

Nicolas Saada n’a donc pas choisi la voie de l’intrigue paranoïaque et des manipulations à triple bande dans laquelle un Philippe Haïm s’est récemment embourbé. Son scénario est beaucoup plus classiquement hitchcockien. Soit un MacGuffin (le fameux explosif) et un certain nombre de personnages qui lui courent après ; un personnage ordinaire (Vincent) placé dans une situation extraordinaire ; et un conflit qui surgit bientôt entre le devoir cynique de Vincent (séduire Claire pour lui extorquer des informations) et les sentiments réels qu’il éprouve bientôt pour la jeune femme ; une couleur émotionnelle qui nous rapproche des Enchaînés, bien que les données de l’intrigue soient très différentes. Le but n’est pas de perdre et d’éblouir le spectateur, mais de susciter son empathie.

Le film a été tourné avec des moyens relativement faibles : seuls les quelques effets pyrotechniques s’en ressentent vraiment ; le choix d’utiliser des effets numériques était certainement malheureux tant le rendu est faible par rapport aux bonnes vieilles cascades. Autrement, Saada fait de nécessité vertu. Il attaque en pleine action, nous plonge dans un Paris nocturne qui rappelle les premiers films d’Assayas, avant que, la Manche passée, nous ne découvrions un Londres diurne et tout aussi naturel. Filatures, combats, manœuvres sont limpides, sans que jamais le suspense soit artificiellement prolongé.

Une bonne partie de l’intérêt pris à l’histoire tient à la relative opacité des personnages : de quoi se doutent au juste ceux qui sont espionnés, qu’ignorent encore les espions ? Et surtout, quels au juste sont les sentiments, face à une Claire candide et sensible, de ce Vincent longtemps privé de confident véritable, à part les notes de frais inquiétantes qu’il prépare à Simon à l’aide du mini-bar de sa chambre d’hôtel ? Face à des professionnels sûrs d’eux mais pas ramenards, l’amateurisme relatif de Vincent (capable de prendre des initiatives tout en oubliant son portable dans la voiture) et celui, total, de Claire, sont évidemment les plus sûrs moteurs de l’action : ils connaissent mal les ficelles du métier, bien sûr, mais sont incapables de le séparer de leur vraie vie.

Le projet appelait une distribution à la hauteur ; Nicolas Saada l’a trouvée. Guillaume Canet est rigoureusement dans son emploi de tête brûlée ébouriffée affrontant un danger apparemment trop grand pour lui, mais il l’assure avec finesse. L’interprétation féminine, elle, est carrément électrisante, qu’il s’agisse de Géraldine Pailhas en femme perdue ou d’Archie Panjabi en mystérieux ange gardien ; et Hippolyte Girardot, qu’on se réjouit de voir souvent, est idéalement cinglant en officier traitant cynique.

Résultat : rien n’est téléphoné dans Espion(s); impossible de prévoir comment une scène va tourner. Saada tourne le dos aux clichés qui veulent que les services secrets soient manipulateurs jusqu’au bout et cachent leur véritable nom à leur propre mère. Au contraire, ses agents jouent souvent cartes sur table, ce qui laisse la possibilité de développer les réactions des autres personnages face à la vérité. Vincent se taisant un temps face aux questions attentionnées de Claire, se promenant dans la pièce, allumant une cigarette, doucement accompagné par les panoramiques de la caméra, est à baffer. Parlera-t-il ? Il parle — et Claire est dévastée. Accès de sincérité ou comble du cynisme ? Le MI5 a trouvé une autre fonction à Claire, et on l’attend dans le hall de l’hôtel pour la briefer. De même l’endroit exact où Vincent s’assied dans le même hall, et que Saada nous cache un temps, est révélatrice de ses propres sentiments face à la situation : honte ou pas honte ? En une scène et demi, la relation des personnages a radicalement changé, et l’intrigue est relancée.

La richesse des émotions est donc la juste récompense du sacrifice du spectaculaire à la vraisemblance matérielle et humaine. Il y a là les prémisses d’un univers personnel, et du regard propre de Nicolas Saada sur le monde. Qu’il ose s’affranchir du modèle hitchcockien, et il nous prépare de sacrées séances de cinoche.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France / Angleterre
Durée : 1h39
date de sortie : 28 janvier 2009
Scénario :
Nicolas Saada
Assistant réalisateur : Emilie Cherpitel
Production : Michaël Gentile
Distribution des rôles : Antoinette Boulat, Gail Stevens
Décors : Thierry François
Costumes : Caroline de Vivaise
Photographie : Stéphane Fontaine
Son : Cyril Moisson
Montage : Juliette Welfling
Musique : Cliff Martinez

  • DISTRIBUTION
Vincent : Guillaume Canet
Claire Burton : Géraldine Pailhas
Palmer : Stephen Rea
Anna : Archie Panjabi
Simon : Hippolyte Girardot
Peter Burton : Vincent Regan
Malik : Alexander Siddig
Fouad : Jamie Harding
Wafa : Hiam Abbass

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