Les Plages d’Agnès, de Agnès Varda * * * *
C’est l’histoire d’une petite bonne femme de quatre-vingts ans, qui marché à reculons sur les plages, dort dans le ventre d’une baleine, photographie Jean Vilar, fabrique une maison de pellicule, reprise des filets, file le grand amour à Noirmoutier, découvre le Flower Power, gagne tout un tas de prix et souque ferme vers le cinéma. L’histoire d’Agnès, quoi.
L’autobiographie au cinéma est un genre impossible, beaucoup plus impossible encore qu’avec un stylo. Le journal intime est possible, comme le prouve l’œuvre d’Alain Cavalier ; mais l’autobiographie rétrospective est un défi au bon sens. Ou alors il faut se filmer soi-même la plupart du temps, et n’avoir par conséquent rien d’autre à faire. Dès lors qu’on utilise un acteur, on a irrémédiablement recours à la fiction, et l’on romance, pour le meilleur souvent, quand on ne choisit pas, comme Marjane Satrapi, de tout redessiner.
A moins qu’on ne s’appelle Agnès Varda.<
Dans la première séquence des Plages d’Agnès, elle investit le rivage de la Mer du Nord, et demande à ses assistants de disposer des miroirs sur le sable. Alors petit à petit on voit se découper des morceaux de vagues sur la dune, des morceaux de ciel sur l’océan, et l’écran devient un puzzle incongru, cependant que le film, d’entrée de jeu, se met en abyme. Voilà la méthode de Varda : le puzzle, le collage. Mais attention : le puzzle doit révéler, à la fin, une image juste et pas juste une image, un vrai portrait, c’est le pari de celui qui s’y livre.
Photographe puis cinéaste, enfin devenue vidéaste et plasticienne, l’auteur de Documenteur parvient à effacer ici toute frontière entre ses différentes activités. Elle mêle photographies, montées au banc-titre ou plantées tout bonnement dans le sable, archives familiales, plans documentaires tournés pour l’occasion, reconstitutions d’un classicisme à tomber, happenings burlesques, extraits de ses propres films ou de ceux de son Jacques (Demy). Tourné dans tous les formats, de bric et de broc, Les Plages d’Agnès est un labyrinthique bricolage. Une séquence entière peut être justifiée par une expérience essentielle, ou par un jeu de mots débile (et on s’y connaît dans la famille). A égalité : tout est là. Chaque plan devient une installation, un gag, une gageure, et les plus sages ne sont pas les moins fous, et ce qui semble le plus spontané est parfois le plus calculé, et dans le plus artificiel la vie peut surgir par miracle. Dès lors qu’un esprit d’invention spontané préside aux petites mises en scènes vécues que Varda se propose à elle-même, la vie et le cinéma deviennent inséparables ; la silhouette même de Varda, coupe au bol assortie à la couleur de sa robe, en fait d’entrée de jeu un personnage (pour ne pas parler de l’exposition dont elle parcourt les allées déguisée en patate, oui, en patate). Quelles meilleures images proposer de Mathieu Demy enfant que celles de Documenteur, où il joue le fils de Sabine Mamou, dont le personnage est déjà, manifestement, une projection autobiographique ?
Agnès Varda a grandi en Belgique, patrie où, contrairement à la France, le surréalisme ne se conçoit pas sans humour ; elle rend explicitement hommage dans son film à Buñuel et à Magritte, et bientôt l’évidence s’impose : elle est sans doute, elle-même, la dernière surréaliste. Les détours parfois carrément potaches des Plages d’Agnès peuvent atteindre soudain à l’extrême vérité humaine, voire à l’extrême pertinence politique, et ce surgissement inattendu est bien le cœur de la recherche surréaliste. Elle-même fait remarquer dans le film que l’émotion n’est absolument pas quelque chose d’automatique. Elle la provoque comme on provoque un taureau, jusqu’au moment où l’émotion fonce. Un montage incroyable parvient d’un côté à suivre un fil relativement chronologique, de l’autre à procéder toujours par associations d’idées : cinéma, marabout, bout de ficelle…
Alors que Varda est d’une bonne partie des plans, l’écueil du narcissisme est en permanence évité. D’abord en raison de sa vie elle-même : émerveillée des rencontres qu’elle a faites, consciente du rôle qu’a joué le hasard (serait-elle devenue la photographe du TNP si la femme de Jean Vilar n’avait été son amie d’enfance ?), Agnès Varda parle d’elle-même pour mieux parler de ceux qui l’entourent et l’ont entourée : artistes, amis, famille, gens du peuple, quelques animaux inoubliables, et Jacques, toujours, toujours Jacques. Exemplaire est la séquence où, partie pour filmer la maison de son enfance, elle se retrouve à s’intéresser à la collection de trains miniatures de son actuel propriétaire, fervent « ferrovipathe ».
Si Les Plages d’Agnès est un bilan de la vie et de l’œuvre, inséparables à l’écran, de son auteur, ce n’est pas un point final, loin de là. Tant qu’Agnès Varda aura un objectif et de la pellicule, voire un simple crayon et une paire de ciseaux, elle mettra de l’art dans sa vie et de la vie dans son art.
Durée : 1h50
date de sortie : 17 décembre 2008
Scénario : Agnès Varda
Assistant réalisateur : Benjamin Blanc
Production : Agnès Varda
Décors : Franckie Diago
Photographie : Agnès Varda, Alain Sakot, Arlene Nelson, Julia Fabry, Jean-Baptiste Morin, Hélène Louvart
Son : Pierre Mertens, Olivier Schwob, Frédéric Maury, Emmanuel Soland
Montage : Agnès Varda, Jean-Baptiste Morin, Baptiste Filloux
Musique : Joanna Bruzdowicz, Stéphane Vilar, Paule Cornet
et
Agnès Varda
André Lubrano
Andrée Vilar
Blaise Fournier
Christophe Vallaux
Christophe Vilar
Didier Rouget
Eugene Kotlyarenko
Gerard Ayres
Jim McBride
Mathieu Demy
Mireille Henriot
Patricia Knop
Richard Scarry
Rosalie Varda
Stéphane Vilar
Tracy McBride
Vincent Fournier
Zalman King
et dans les archives d'Agnès :
Laura Betti
Jane Birkin
Sandrine Bonnaire
Antoine Bourseiller
Nino Castelnuovo
Jacques Demy
Catherine Deneuve
Robert DeNiro
Gérard Depardieu
France Dougnac
Harrison Ford
Charlotte Gainsbourg
Serge Gainsbourg
Julie Gayet
Jean-Luc Godard
Valérie Mairesse
Sabine Mamou
Corinne Marchand
Silvia Monfort
Jim Morrison
Philippe Noiret
Michel Piccoli
James Rado
Gerome Ragni
Delphine Seyrig
sans oublier
Guillaume-en-Egypte aka Chris. Marker
L’autobiographie au cinéma est un genre impossible, beaucoup plus impossible encore qu’avec un stylo. Le journal intime est possible, comme le prouve l’œuvre d’Alain Cavalier ; mais l’autobiographie rétrospective est un défi au bon sens. Ou alors il faut se filmer soi-même la plupart du temps, et n’avoir par conséquent rien d’autre à faire. Dès lors qu’on utilise un acteur, on a irrémédiablement recours à la fiction, et l’on romance, pour le meilleur souvent, quand on ne choisit pas, comme Marjane Satrapi, de tout redessiner.
A moins qu’on ne s’appelle Agnès Varda.<
Dans la première séquence des Plages d’Agnès, elle investit le rivage de la Mer du Nord, et demande à ses assistants de disposer des miroirs sur le sable. Alors petit à petit on voit se découper des morceaux de vagues sur la dune, des morceaux de ciel sur l’océan, et l’écran devient un puzzle incongru, cependant que le film, d’entrée de jeu, se met en abyme. Voilà la méthode de Varda : le puzzle, le collage. Mais attention : le puzzle doit révéler, à la fin, une image juste et pas juste une image, un vrai portrait, c’est le pari de celui qui s’y livre.
Photographe puis cinéaste, enfin devenue vidéaste et plasticienne, l’auteur de Documenteur parvient à effacer ici toute frontière entre ses différentes activités. Elle mêle photographies, montées au banc-titre ou plantées tout bonnement dans le sable, archives familiales, plans documentaires tournés pour l’occasion, reconstitutions d’un classicisme à tomber, happenings burlesques, extraits de ses propres films ou de ceux de son Jacques (Demy). Tourné dans tous les formats, de bric et de broc, Les Plages d’Agnès est un labyrinthique bricolage. Une séquence entière peut être justifiée par une expérience essentielle, ou par un jeu de mots débile (et on s’y connaît dans la famille). A égalité : tout est là. Chaque plan devient une installation, un gag, une gageure, et les plus sages ne sont pas les moins fous, et ce qui semble le plus spontané est parfois le plus calculé, et dans le plus artificiel la vie peut surgir par miracle. Dès lors qu’un esprit d’invention spontané préside aux petites mises en scènes vécues que Varda se propose à elle-même, la vie et le cinéma deviennent inséparables ; la silhouette même de Varda, coupe au bol assortie à la couleur de sa robe, en fait d’entrée de jeu un personnage (pour ne pas parler de l’exposition dont elle parcourt les allées déguisée en patate, oui, en patate). Quelles meilleures images proposer de Mathieu Demy enfant que celles de Documenteur, où il joue le fils de Sabine Mamou, dont le personnage est déjà, manifestement, une projection autobiographique ?
Agnès Varda a grandi en Belgique, patrie où, contrairement à la France, le surréalisme ne se conçoit pas sans humour ; elle rend explicitement hommage dans son film à Buñuel et à Magritte, et bientôt l’évidence s’impose : elle est sans doute, elle-même, la dernière surréaliste. Les détours parfois carrément potaches des Plages d’Agnès peuvent atteindre soudain à l’extrême vérité humaine, voire à l’extrême pertinence politique, et ce surgissement inattendu est bien le cœur de la recherche surréaliste. Elle-même fait remarquer dans le film que l’émotion n’est absolument pas quelque chose d’automatique. Elle la provoque comme on provoque un taureau, jusqu’au moment où l’émotion fonce. Un montage incroyable parvient d’un côté à suivre un fil relativement chronologique, de l’autre à procéder toujours par associations d’idées : cinéma, marabout, bout de ficelle…
Alors que Varda est d’une bonne partie des plans, l’écueil du narcissisme est en permanence évité. D’abord en raison de sa vie elle-même : émerveillée des rencontres qu’elle a faites, consciente du rôle qu’a joué le hasard (serait-elle devenue la photographe du TNP si la femme de Jean Vilar n’avait été son amie d’enfance ?), Agnès Varda parle d’elle-même pour mieux parler de ceux qui l’entourent et l’ont entourée : artistes, amis, famille, gens du peuple, quelques animaux inoubliables, et Jacques, toujours, toujours Jacques. Exemplaire est la séquence où, partie pour filmer la maison de son enfance, elle se retrouve à s’intéresser à la collection de trains miniatures de son actuel propriétaire, fervent « ferrovipathe ».
Si Les Plages d’Agnès est un bilan de la vie et de l’œuvre, inséparables à l’écran, de son auteur, ce n’est pas un point final, loin de là. Tant qu’Agnès Varda aura un objectif et de la pellicule, voire un simple crayon et une paire de ciseaux, elle mettra de l’art dans sa vie et de la vie dans son art.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h50
date de sortie : 17 décembre 2008
Scénario : Agnès Varda
Assistant réalisateur : Benjamin Blanc
Production : Agnès Varda
Décors : Franckie Diago
Photographie : Agnès Varda, Alain Sakot, Arlene Nelson, Julia Fabry, Jean-Baptiste Morin, Hélène Louvart
Son : Pierre Mertens, Olivier Schwob, Frédéric Maury, Emmanuel Soland
Montage : Agnès Varda, Jean-Baptiste Morin, Baptiste Filloux
Musique : Joanna Bruzdowicz, Stéphane Vilar, Paule Cornet
- DISTRIBUTION
et
Agnès Varda
André Lubrano
Andrée Vilar
Blaise Fournier
Christophe Vallaux
Christophe Vilar
Didier Rouget
Eugene Kotlyarenko
Gerard Ayres
Jim McBride
Mathieu Demy
Mireille Henriot
Patricia Knop
Richard Scarry
Rosalie Varda
Stéphane Vilar
Tracy McBride
Vincent Fournier
Zalman King
et dans les archives d'Agnès :
Laura Betti
Jane Birkin
Sandrine Bonnaire
Antoine Bourseiller
Nino Castelnuovo
Jacques Demy
Catherine Deneuve
Robert DeNiro
Gérard Depardieu
France Dougnac
Harrison Ford
Charlotte Gainsbourg
Serge Gainsbourg
Julie Gayet
Jean-Luc Godard
Valérie Mairesse
Sabine Mamou
Corinne Marchand
Silvia Monfort
Jim Morrison
Philippe Noiret
Michel Piccoli
James Rado
Gerome Ragni
Delphine Seyrig
sans oublier
Guillaume-en-Egypte aka Chris. Marker
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