Coco avant Chanel, de Anne Fontaine * *

Des petites mains au talent confirmé ont travaillé à Coco avant Chanel, biographie des jeunes années de la grande couturière. Les scénaristes sont émérites, la préparation relève de la très belle ouvrage, mise en scène et interprétation sont empreintes de finesse. Pourtant le film ne parvient jamais à décoller réellement.

Après un prologue situé dans l’enfance de l’héroïne qui, dans un orphelinat, attend le retour de son père, l’action de Coco avant Chanel débute vraiment quinze ans plus tard. Gabrielle Chanel et sa sœur Adrienne sont couturières et, le soir, font un bref numéro de chant dans un beuglant, où elles se retrouvent un jour à la table d’Etienne Balsan, un homme riche et oisif à qui Gabrielle, qu’il surnomme Coco, plaît tout de suite par son franc-parler renfrogné. Voilà une jeune fille qui sort de l’ordinaire.

Comme l’indique le titre, il ne sera pas question ici de la carrière entière de Coco Chanel, mais plutôt de la naissance d’une vocation. Jamais elle ne posera à l’artiste : pour elle, la couture est un travail, qui la distingue à la fois de la cocotte qu’elle semble destinée à devenir, et de l’oisiveté de ses protecteurs. Cela, et sa détestation des robes à corset qui, sous prétexte d’embellir les femmes, les enferment et les asservissent, montre bien le trait dominant qu’a voulu souligner Anne Fontaine : l’art de Coco Chanel, instrument de libération, est le d’une personnalité révoltée, et le fer de lance du féminisme. La démonstration ne va pas sans schématisme : la chronologie du film est extrêmement floue et expédie la guerre de 1914 d’une réplique négligente ; et le nom de Paul Poiret, le premier à avoir renoncé au corset si je n’erre, n’est jamais prononcé, même à voix basse.

C’est un peu au (petit) spectateur, toutefois, de relier tous les éléments que lui propose Anne Fontaine. La relation entre Coco et Balsan, qui se veut cynique ; l’irruption dans la vie de notre héroïne de l’anglais Boy Capel, véritable admirateur de sa personnalité, qui finit par lui permet de s’installer à son compte ; tout cela est la matière d’une étude de mœurs assez autonome, de sorte que de temps en temps Anne Fontaine doit montrer Coco qui coud et qui fabrique des chapeaux : d’où le personnage d’Emmanuelle Devos, la première cliente.

Cette disparité apparente dans le propos du film permet de comprendre ce qui cloche. En effet, si un film n’était que la somme des contributions individuelles, nous tiendrions ici un classique. Photographie nuancée, costumes d’autant plus soignés que le discours l’exigeait, décors et accessoires suggérant l’arrivée de la modernité dans un monde ancestral, tout ici sonne juste. Benoît Poelvoorde, forcément impeccable dans la muflerie et remarquablement touchant tout le reste du temps et même pendant, et Audrey Tautou, remplie de l’énergie butée de son personnage, sont mieux que convaincants. Alors ?

La première scène, porteuse du générique, va nous éclairer. Adrienne et Gabrielle, toutes gamines, sont allongées dans la charrette qui les emmène vers l’orphelinat, et observent par les interstices des lattes de bois les endroits qu’elles traversent ; très réaliste, le cadre joue des occultations du paysage. Puis, lorsque l’écran affiche le nom de la réalisatrice, un très digne et très fixe plan général de l’établissement montre la charrette qui s’arrête : comment passer d’un extrême à l’autre sur le plan de la mise en scène. Parfois sèche et réaliste, parfois soudain picturale et solennelle, ou envahie par le lyrisme de la nature, celle-ci semble en permanence à la recherche d’un ton. La dernière séquence, peuplée de mannequins maigrelettes et anachroniques — on sent qu’elles viennent après Twiggy et Kate Moss —, très émouvante au demeurant tant la légèreté de la présentation de mode contraste avec l’épuisement d’une Coco livide, relève d’une autre esthétique encore, onirique avec son camaïeu de couleurs et ses pans de miroir.

En somme, d’un bout à l’autre de la projection, on a l’impression qu’Anne Fontaine a rêvé plusieurs films, et n’a au fond pas su choisir : devait-elle réaliser une chronique satirique de la haute société décadente ? Quand le film passe par Deauville, ce n’est sans doute pas par hasard qu’une figurante appelle un certain Marcel. Fallait-il se concentrer sur le triangle amoureux Balsan/Coco/Capel ? Elle y consacre un temps important, pendant lequel il importe peu qu’il s’agisse de personnages historiques. Ou fallait-il enfin se lancer dans une grande fresque historique et romantique ? Coco avant Chanel ressemble parfois au montage de plans issus de Fin août début septembre et de Retour à Howards end. La séquence des courses, explicitement, et celle de Deauville, de façon plus diffuse, évoquent même My fair lady, et il y a peut-être un peu de contradiction à se laisser aller à la fascination pour une époque révolue, et à faire le portrait de celle qui a contribué à la dépasser.

Etienne Mahieux
  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h45
Date de sortie : 22 avril 2009
Scénario : Anne Fontaine, Camille Fontaine, Jacques Fieschi, Christopher Hampton, Anne Wiazemsky
D’après le livre de : Edmonde Charles-Roux
Assistant réalisateur : Joseph Rapp
Production : Caroline Benjo, Philippe Carcassonne, Carole Scotta
Distribution des rôles : Antonia Dauphin
Décors : Olivier Radot
Costumes : Catherine Leterrier
Photographie : Christophe Beaucarne
Son : Nicolas Cantin, Jean-Claude Laureux
Montage : Luc Barnier
Musique : Alexandre Desplats

  • DISTRIBUTION
Gabrielle « Coco » Chanel : Audrey Tautou
Etienne Balsan : Benoît Poelvoorde
Arthur « Boy » Capel : Alessandro Nivola
Adrienne Chanel : Marie Gillain
Emilienne : Emmanuelle Devos
Alec, le jockey : Régis Royer
Maurice de Nexon : Yan Duffas
Jean, le palefrenier : Roch Leibovici
Le directeur du beuglant : Jean-Yves Chatelais
L’acteur : Pierre Diot
Le tailleur à Deauville : Bruno Abraham-Kremer
Raymond : Jean-Chrétien Sibertin-Blanc

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