Dans la brume électrique, de Bertrand Tavernier * * * *

Nous avons attendu beaucoup trop longtemps, depuis le très beau Holy Lola (2004), le dernier film de Bertrand Tavernier, bloqué par des conflits entre le cinéaste et le producteur américain, rebuté par l’étrangeté du résultat. C’est la version de Bertrand Tavernier qui est sortie en France. Chouette.

Dans la brume électrique qui recouvre les bayous au petit matin, le lieutenant Dave Robicheaux regarde le corps sans vie et mutilé d’une jeune fille des environs. Un tueur sadique est apparemment dans la nature, et Dave doit mener l’enquête. Il cherche également à retrouver l’identité d’un noir que, jeune adolescent, il avait lu lyncher ; et s’intéresse au retour en ville de Julie « Baby feet » Balboni, un mafieux reconverti en producteur de cinéma, qui jouait au base-ball avec lui, jadis. Dave n’enterre jamais le passé tant que celui-ci reste en souffrance, et justement, par les temps qui courent, les marais de Louisiane dégorgent le souvenir de leurs morts…

Mon résumé commence comme celui d’un petit polar et continue sur un mode plus lyrique, pour ne pas dire brumeux. En cela je l’espère fidèle à l’étrange atmosphère de Dans la brume électrique. Petit polar, d’abord : Bertrand Tavernier, spécialiste millésimé du cinéma américain, est venu tourner chez ses maîtres, et se devait par conséquent de montrer qu’il sait faire le travail. Il sait : pour l’anecdote on retrouvera maints types de cadrages typiques du film noir, maintes figures de style — quelques ralentis par exemple — absentes de ses films français et caractéristiques de la narration hollywoodienne. Plus important, Tavernier imprime à son film un rythme tranquille et cadencé qui engendre le suspense plus sûrement que toute frénésie : une perquisition clandestine chez le suspect numéro un — où Robicheaux ouvre méthodiquement les tiroirs l’un après l’autre sans trouver le couteau qu’il cherche — devient ainsi haletante.

Mais ce rythme, c’est peut-être celui du blues que Buddy Guy chante dans le film, après l’avoir doucement gratté sur sa terrasse. Au bout de deux scènes, en écoutant la voix d’une vieille employée noire qui évoque ses souvenirs de la victime, on sait que le film ira plus loin que les clichés sur la Louisiane. Mais de rencontres improbables — un acteur alcoolique qui tient la vedette du film produit par Balboni se prend d’amitié pour Robicheaux qui l’arrête pour ivresse au volant — en apparitions fantastiques des soldats sudistes qui hantent les marais, la chronique tourne petit à petit au poème. Les personnages révèlent des facettes imprévues, et leurs rapports échappent volontiers à la norme : exemplairement, ceux de Robicheaux avec son étrange tribu dont les liens, au départ, ne sont pas clairs du tout, et où s’incruste, doucement, l’acteur porté sur la bouteille.

Ainsi s’installe une atmosphère de légère ivresse, où la recherche de faits et de motivations rationnelles que réclame l’enquête policière s’avère étrangement compatible avec une relation essentiellement magique au pays et à son passé. J’imagine que Tavernier a dirigé la version française avec beaucoup de soin, mais les dialogues chantants de la version originale sont probablement inimitables. Le charme de l’ensemble tient aussi à l’hésitation apparente de la mise en scène entre rigueur et composition d’un côté, et bricolage et improvisation de l’autre, entre mode réaliste et mode symbolique ; des failles où s’insinuent à la fois un sentiment de grande liberté — au point que le plus improbable arrive — et de grande tendresse envers les personnages. L’interprétation, remarquable, est évidemment un atout. Tommy Lee Jones est impérial dans son emploi favori, celui du vieux shérif qui en a vu d’autres ; mais ici on découvre un cœur sous l’étoile en vermeil.
Etienne Mahieux
  • BANDE ANNONCE

  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis / France
Durée : 1h57
Titre original : In the electric mist
Date de sortie : 15 avril 2009
Scénario : Jerzy Kromolowski, Mary Olson-Kromolowski
D’après le roman Dans la brume électrique avec les morts confédérés de : James Lee Burke
Assistant réalisateur : Phil Hardage
Production : Michael Fitzgerald, Deborah Dobson Beach, Frédéric Bourboulon
Distribution des rôles : Lisa Mae Fincannon, Jeanne McCarthy
Décors : Merideth Boswell
Costumes : Kathy Kiatta
Photographie : Bruno de Keyzer
Son : David Bach, Catherine Harper, Christopher Moriana
Montage : Larry Madaras, Roberto Silvi
Musique : Marco Beltrami, Buddy Guy

  • DISTRIBUTION
Dave Robicheaux : Tommy Lee Jones
Julie « Baby feet » Balboni : John Goodman
Elrod Sykes : Peter Sarsgaard
Bootsie Robicheaux : Mary Steenburgen
Rosie Gomez : Justina Machado
Kelly Drummond : Kelly MacDonald
Général John Bell Hood : Levon Helm
Sam « Hogman » Patin : Buddy Guy
Alafair Robicheaux : Alana Locke
Lou Girard : Pruitt Taylor Vince
Murphy Doucet : Bernard Hocke
Cholo Manelli : Julio Cedillo
Batist : Walter Breaux
Twinky LeMoyne : Ned Beatty
Ned Hebert : James Gammon
La vieille femme : Adella Gauthier
Michael Goldman : John Sayles

Partager cet Article:

Facebook Twitter Technorati digg Stumble Delicious MySpace Yahoo Google Reddit Mixx LinkedIN FriendFeed

Blogger

Soyez le premier à commenter cet article !

Enregistrer un commentaire