Fais-moi plaisir !, de Emmanuel Mouret * * *

Traçant obstinément son sillon depuis dix ans dans le registre de la comédie sentimentale, Emmanuel Mouret fait se croiser dans Fais-moi plaisir ! deux veines distinctes : celle du marivaudage, et celle du grand burlesque cinématographique. Un mélange qui surprend et qui finit par emporter le film dans un délicieux délire onirique.

Au départ, pourtant, une situation bien quotidienne : un matin, Ariane et Jean-Jacques, un jeune couple, se réveille dans son lit. Jean-Jacques serait fort disposé à entamer la journée par de réjouissants ébats, mais Ariane cherche mille délais. Le désir de Jean-Jacques s’exprime alors, de fort lubitschienne façon, par la rapidité de sa course en robe de chambre jusqu’au café du coin, Ariane lui ayant fait part de la nécessité de boire un café pour recouvrer l’équilibre de ses humeurs. Et puis, le téléphone sonne. A l’autre bout, une femme, très désireuse semble-t-il de revoir Jean-Jacques. Qui c’est cette fille ? Le jeune homme passe aux aveux : c’est une inconnue qu’il a séduite au cours d’une expérience strictement scientifique visant à vérifier la valeur d’une technique de drague qu’on lui avait vantée comme infaillible. Très inquiète pour leur avenir, Ariane décide de jouer un coup d’avance, et somme Jean-Jacques de coucher une bonne fois pour toutes avec cette mystérieuse Elisabeth. Et le voilà contraint de céder à contrecœur et à la tentation (car l’un n’empêche pas l’autre).

On est là dans un registre relativement classique, celui d’une fable sentimentale dont on pressent, à la façon dont Emmanuel Mouret acteur rêve ses répliques d’un air un peu perdu, qu’elle va tourner au conte moral. Mais pas tout de suite. Le film s’avère en effet avoir une étrange construction. Le début et la fin se répondent évidemment ; ils sont l’exposition et le dénouement impeccables de l’histoire. Mouret se montre un scénariste raffiné ; des détails qui, au début, semblaient d’une certaine gratuité fantaisiste, comme le fait que Jean-Jacques et Ariane habitent deux appartements mitoyens entre lesquels on a abattu la cloison, font retour (si j’ose ainsi psychojargonner) au service exclusif de la mise en scène et du suspense final sur l’avenir sentimental des deux personnages. On remarque notamment l’art du flash-back, déjà au centre de la construction d’Un baiser s’il vous plaît, précédent film de Mouret, et qui réserve ici quelques réjouissantes surprises.

Par contre, entre les deux, on a l’impression d’assister à un autre film : Mouret s’aventure sur un autre terrain. Le prétexte en est fourni par une soirée chez Elisabeth, où Jean-Jacques, hurluberlu déboulé dans un monde qu’il n’a pas l’habitude de fréquenter (vous comprendrez pourquoi en allant vous faire plaisir dans votre salle préférée), accumule les gaffes avec la dignité affolée de Peter Sellers jouant un personnage de Franquin. Difficile en effet, la situation aidant, de ne pas penser à La Party, sinon que Jean-Jacques est le héros éberlué de la soirée là où Hrundi V. Bakshi (le personnage de Sellers) tapait benoîtement l’incruste. Doigts dans le grille-pain électrique, rideau coincé dans la braguette, Jean-Jacques est une hilarante calamité ; il croise entre autres un fiancé violent, un ambassadeur serviable et un gorille gentil. Mais pendant ce temps-là le conte moral n’avance plus guère et on peut se demander où Mouret veut en venir, et si finalement nous ne sommes pas en train d’assister à une suite de sketches bien trouvés, à un simple exercice de style.

La réponse a un nom d’herbe aromatique, à ne pas confondre avec un vulgaire diminutif. La dévouée soubrette d’Elisabeth, idéalement incarnée par Déborah François (1) donne le signal de la variation des tentations féminines ; dans l’épisode final de cette partie centrale du film, on assiste même à une démultiplication, proche du clonage, de charmantes et candides jeunes filles en chemise de nuit à l’ancienne, sans pour autant que le dévergondage de Jean-Jacques avance d’un pouce. Le désir s’accroît mais l’effet se recule, dirait Corneille : frustration permanente au bout de chaque gag, dans un mouvement érotique et délirant qui est, au fond, celui de beaucoup de rêves. Le film finit par trouver une cohérence : celle d’un récit très cadré comportant une très longue parenthèse qui reflète les fantasmes du protagoniste.

Décidément beaucoup plus proche ici de la comédie américaine que de Rohmer, dont on le fait souvent l’élève, Mouret propose au bout du compte une comédie du remariage de la plus belle eau, avec un épisode central largement onirique : Fais-moi plaisir ! doit donc autant à Eyes wide shut de Kubrick qu’à La Party. Le talent particulier de son auteur se révèle pourtant dans la forme choisie, moins virtuose et plus que celle de ses modèles ; en osmose parfaite avec le personnage elle se tient, l’air empoté, sur les confins de l’élégance et de la fantaisie.

(1) Ici notre rougissant collaborateur s’est interrompu dans la réaction de son article, l’air béat ; et il a fallu toute la vigueur de notre webmastrice pour le remettre au travail.

Etienne Mahieux
  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h30
Date de sortie : 24 juin 2009
Scénario : Emmanuel Mouret
Assistant réalisateur : Pierrick Vautier
Production : Frédéric Niedermayer
Décors : David Faivre
Photographie : Laurent Desmet
Son : Maxime Gavaudan, François Mereu
Montage : Martial Salomon
Musique : David Hadjadj, Jérôme Rebotier

  • DISTRIBUTION
Jean-Jacques : Emmanuel Mouret
Elisabeth : Judith Godrèche
Ariane : Frédérique Bel
Aneth : Déborah François
Le Président : Jacques Weber
Rudolph : Dany Brillant
Le dragueur de génie : Frédéric Epin
Première sœur : Zara Prassinot
Deuxième sœur : Laura Boujenah
Troisième sœur : Audrey Dewilder
Quatrième sœur : Juliette Lemonnier
Jean-Paul : Frédéric Niedermayer

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