Bancs publics (Versailles Rive Droite), de Bruno Podalydès * * *
Bruno Podalydès nous avait jusqu’ici habitués à suivre les avatars d’un protagoniste (généralement et superbement joué par son frère Denis) ; le voici qui s’intéresse simultanément à des dizaines de personnages, à la manière d’un autre disciple de Resnais, le Jean-Michel Ribes de Musée haut musée bas. Mais la mue n’est qu’apparente, et la personnalité de Podalydès toujours évidente dans ce nouveau film.
Le début du film suit, au long des couloirs du métro puis du RER, une jeune femme qui se rend à son travail, non loin de la gare de Versailles Rive Droite. Mais ce jour-là, une surprise attend Lucie quand elle s’asseoit devant son ordinateur et retrouve ses collègues : au dessous d’une des fenêtres de l’immeuble d’en face s’étend une banderole sinistre proclamant « Homme seul ». Ces honnêtes employées de bureau, peut-être alertées par leurs relations complexes avec les hommes, se posent bien des questions sur ladite banderole : appel au secours d’un désespéré ? canular superbe ? ou audacieux « teasing » comme le suggère leur supérieur hiérarchique (après Un conte de Noël et Espions, un césar du meilleur second rôle pour Hippolyte Girardot, s’il vous plaît !)
Ce n’est que le début d’un film à la construction étrange et qui évite le systématisme. La première partie se passe, en gros, dans les locaux de la fameuse entreprise versaillaise. La dernière se situe, pour l’essentiel, dans le magasin de bricolage qui occupe, à quelques pas de là, une vieille bâtisse incongrue. Entre les deux, les personnages se retrouvent au square, de sorte que le film impose, le nombre des acteurs aidant, ce qu’il faut bien appeler une structure symphonique pour grand orchestre.
Cela ne va pas sans frustration pour le spectateur : nous sommes en effet contraints de nous détacher de personnages intéressants pour porter notre attention sur d’autres, qui disparaîtront peut-être aussi vite qu’ils sont apparus. Il faut toute la générosité d’invention des frères Podalydès pour que ce pas ne se révèle pas mauvais. Autre incongruité (en cinéma mais pas en musique) : la différence de ton très nette entre les trois parties, du mélange de satire et de romanesque de la première, dont la mise en scène extrêmement élégante n’est pas, à certains moments, sans évoquer la grande forme mélancomique d’un Almodovar, au burlesque délirant de la troisième, en passant par l’unanimisme de la seconde, toute en mouvements d’appareil coulant dans un décor essentiellement circulaire, une figure géométrique fort importante ici et reprise par le beau générique final.
Si Bancs publics ne donne pourtant pas une impression de décousu, c’est parce qu’au fond le scénario se montre redoutablement dialectique. Les deux tiers du film, soulignons-le, montrent les personnages dans le cadre de leur travail, et de deux entreprises privées. Seulement, au mot « entreprise », le dialogue préfère le mot « société », dont il exploite la polysémie. Ces deux mondes, qui communiquent le temps de la pause déjeuner dans le square, sont au fond des miniatures de la société au sens large, et le paradoxe veut que la première, dépendant d’un groupe assez important (puisqu’un important administrateur, monsieur Borelly, doit se faire souffler le nom de l’employée dont on fête le départ en retraite), et minée par les conflits hiérarchiques, voie le développement d’une solidarité inattendue — qui finit par amener tout le monde à la même fenêtre. Au contraire, le magasin de bricolage, qui dépend des efforts d’une équipe réduite à une demi-douzaine de personnes, est rapidement menacé par l’anarchie la plus totale. A ce titre le véritable coup de théâtre final ne réside pas tant dans l’identité de l’ « homme seul » que dans la révélation qui concerne la banderole elle-même.
Voir Bancs publics, qui est aussi, ne l’oublions pas, un Versailles rive droite, dans la continuité d’une trilogie entamée avec Versailles rive gauche et continuée par Dieu seul me voit (Versailles chantiers), permet une lecture encore plus enrichissante. Le premier film avait pour cadre un studio étroit d’où le héros tâchait d’éconduire un nombre sans cesse grandissant d’importuns, dans l’espoir de passer une soirée idéale avec la fille de ses rêves. Le second suivait un autre personnage dans les rapports complexes qu’il entretenait avec un groupe encore plus foisonnant, mais dans un espace tout aussi éclaté. Bancs publics ordonne et restreint l’espace (en trois actes), mais perd l’individu (le fameux « homme seul ») dans un groupe dont l’enjeu du film est de le faire émerger — même si le spectateur averti et attentif n’est pas laissé sans indices pour l’élire avant que le scénario ne s’en charge.
Toujours fasciné par le mélange des tons, jamais en retard d’une idée subtile, Bruno Podalydès en est encore à nous donner un chef-d’œuvre (avec la réserve que je n’ai pas vu Liberté-Oléron). Mais nous ne devons pas bouder notre plaisir devant son cinéma généreux, inventif, imprévisible, solaire. Une œuvre se construit, qui vaut plus que la somme de ses parties.
Durée : 1h50
Date de sortie : 8 juillet 2009
Scénario : Bruno Podalydès, Olivia Basset, Denis Podalydès
Assistant réalisateur : Guillaume Bonnier
Production : Pascal Caucheteux
Décors : Marie Cheminal
Costumes : Dorothée Guiraud
Photographie : Yves Cape
Son : Laurent Poirier, Nicolas Moreau, Cyril Holtz
Montage : Emmanuel Castro, Jean-Denis Buré
Musique : David Lafore, Ezechiel Pailhes
Jeune père : Mathieu Amalric
M. Borelly : Pierre Arditi
Joueur de backgammon : Michel Aumont
Solange Renivelle : Josiane Balasko
Amandine : Emeline Bayart
Client Spongex : Christophe Beaucarne
Policière : Cécile Bouillot
Capitaine d’un bateau télécommandé : Didier Bourdon
Premier dragueur : Jean-Noël Brouté
Opportune : Laure Calamy
Voisin méfiant : Bernard Campan
Future ex-femme de Simon : Isabelle Candelier
Cliente à la douille : Amira Casar
Marianne : Louise Caucheteux
Voisine divagante : Micheline Dax
Cliente à la petite armoire : Catherine Deneuve
Femme du voisin méfiant : Julie Depardieu
Mère d’Arthur : Emmanuelle Devos
Employé strict : Pierre Diot
Ancien élève : Vincent Elbaz
Clochard : Eric Elmosnino
Barbara Vérité : Géraldine Fréry
Ancienne enseignante : Nicole Garcia
Jeune mère au Pinpin : Françoise Gillard
Simon : Hippolyte Girardot
Maurice Begeard : Olivier Gourmet
Romain : Samir Guesmi
Pascale : Chantal Lauby
Client exigeant : Pascal Légitimus
Coursier : Manuel Le Lièvre
Médecin mufle : Thierry Lhermitte
Paul : Patrick Ligardes
Cliente au papier peint : Guilaine Londez
Client au paillasson : Michael Lonsdale
Mère de Marianne : Chiara Mastroianni
Lucie : Florence Muller
Voisine de palier : Agathe Natanson
M. Bretelle : Bruno Podalydès
Aimé Mermot : Denis Podalydès
Arthur : Nino Podalydès
M. Vérité : Benoît Poelvoorde
Habitant de l’immeuble d’en face : Eric Prat
Mère de Lucie : Catherine Rich
Autre joueur de backgammon : Claude Rich
Chanteur de métro idéal : Ridan
Deuxième dragueur : Elie Semoun
Client à la vis pour agglo : Bruno Solo
Policier : Didier Tronchet
Client au foret : Philippe Uchan
Cadre supérieur : Michel Vuillermoz
Le début du film suit, au long des couloirs du métro puis du RER, une jeune femme qui se rend à son travail, non loin de la gare de Versailles Rive Droite. Mais ce jour-là, une surprise attend Lucie quand elle s’asseoit devant son ordinateur et retrouve ses collègues : au dessous d’une des fenêtres de l’immeuble d’en face s’étend une banderole sinistre proclamant « Homme seul ». Ces honnêtes employées de bureau, peut-être alertées par leurs relations complexes avec les hommes, se posent bien des questions sur ladite banderole : appel au secours d’un désespéré ? canular superbe ? ou audacieux « teasing » comme le suggère leur supérieur hiérarchique (après Un conte de Noël et Espions, un césar du meilleur second rôle pour Hippolyte Girardot, s’il vous plaît !)
Ce n’est que le début d’un film à la construction étrange et qui évite le systématisme. La première partie se passe, en gros, dans les locaux de la fameuse entreprise versaillaise. La dernière se situe, pour l’essentiel, dans le magasin de bricolage qui occupe, à quelques pas de là, une vieille bâtisse incongrue. Entre les deux, les personnages se retrouvent au square, de sorte que le film impose, le nombre des acteurs aidant, ce qu’il faut bien appeler une structure symphonique pour grand orchestre.
Cela ne va pas sans frustration pour le spectateur : nous sommes en effet contraints de nous détacher de personnages intéressants pour porter notre attention sur d’autres, qui disparaîtront peut-être aussi vite qu’ils sont apparus. Il faut toute la générosité d’invention des frères Podalydès pour que ce pas ne se révèle pas mauvais. Autre incongruité (en cinéma mais pas en musique) : la différence de ton très nette entre les trois parties, du mélange de satire et de romanesque de la première, dont la mise en scène extrêmement élégante n’est pas, à certains moments, sans évoquer la grande forme mélancomique d’un Almodovar, au burlesque délirant de la troisième, en passant par l’unanimisme de la seconde, toute en mouvements d’appareil coulant dans un décor essentiellement circulaire, une figure géométrique fort importante ici et reprise par le beau générique final.
Si Bancs publics ne donne pourtant pas une impression de décousu, c’est parce qu’au fond le scénario se montre redoutablement dialectique. Les deux tiers du film, soulignons-le, montrent les personnages dans le cadre de leur travail, et de deux entreprises privées. Seulement, au mot « entreprise », le dialogue préfère le mot « société », dont il exploite la polysémie. Ces deux mondes, qui communiquent le temps de la pause déjeuner dans le square, sont au fond des miniatures de la société au sens large, et le paradoxe veut que la première, dépendant d’un groupe assez important (puisqu’un important administrateur, monsieur Borelly, doit se faire souffler le nom de l’employée dont on fête le départ en retraite), et minée par les conflits hiérarchiques, voie le développement d’une solidarité inattendue — qui finit par amener tout le monde à la même fenêtre. Au contraire, le magasin de bricolage, qui dépend des efforts d’une équipe réduite à une demi-douzaine de personnes, est rapidement menacé par l’anarchie la plus totale. A ce titre le véritable coup de théâtre final ne réside pas tant dans l’identité de l’ « homme seul » que dans la révélation qui concerne la banderole elle-même.
Voir Bancs publics, qui est aussi, ne l’oublions pas, un Versailles rive droite, dans la continuité d’une trilogie entamée avec Versailles rive gauche et continuée par Dieu seul me voit (Versailles chantiers), permet une lecture encore plus enrichissante. Le premier film avait pour cadre un studio étroit d’où le héros tâchait d’éconduire un nombre sans cesse grandissant d’importuns, dans l’espoir de passer une soirée idéale avec la fille de ses rêves. Le second suivait un autre personnage dans les rapports complexes qu’il entretenait avec un groupe encore plus foisonnant, mais dans un espace tout aussi éclaté. Bancs publics ordonne et restreint l’espace (en trois actes), mais perd l’individu (le fameux « homme seul ») dans un groupe dont l’enjeu du film est de le faire émerger — même si le spectateur averti et attentif n’est pas laissé sans indices pour l’élire avant que le scénario ne s’en charge.
Toujours fasciné par le mélange des tons, jamais en retard d’une idée subtile, Bruno Podalydès en est encore à nous donner un chef-d’œuvre (avec la réserve que je n’ai pas vu Liberté-Oléron). Mais nous ne devons pas bouder notre plaisir devant son cinéma généreux, inventif, imprévisible, solaire. Une œuvre se construit, qui vaut plus que la somme de ses parties.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h50
Date de sortie : 8 juillet 2009
Scénario : Bruno Podalydès, Olivia Basset, Denis Podalydès
Assistant réalisateur : Guillaume Bonnier
Production : Pascal Caucheteux
Décors : Marie Cheminal
Costumes : Dorothée Guiraud
Photographie : Yves Cape
Son : Laurent Poirier, Nicolas Moreau, Cyril Holtz
Montage : Emmanuel Castro, Jean-Denis Buré
Musique : David Lafore, Ezechiel Pailhes
- DISTRIBUTION
Jeune père : Mathieu Amalric
M. Borelly : Pierre Arditi
Joueur de backgammon : Michel Aumont
Solange Renivelle : Josiane Balasko
Amandine : Emeline Bayart
Client Spongex : Christophe Beaucarne
Policière : Cécile Bouillot
Capitaine d’un bateau télécommandé : Didier Bourdon
Premier dragueur : Jean-Noël Brouté
Opportune : Laure Calamy
Voisin méfiant : Bernard Campan
Future ex-femme de Simon : Isabelle Candelier
Cliente à la douille : Amira Casar
Marianne : Louise Caucheteux
Voisine divagante : Micheline Dax
Cliente à la petite armoire : Catherine Deneuve
Femme du voisin méfiant : Julie Depardieu
Mère d’Arthur : Emmanuelle Devos
Employé strict : Pierre Diot
Ancien élève : Vincent Elbaz
Clochard : Eric Elmosnino
Barbara Vérité : Géraldine Fréry
Ancienne enseignante : Nicole Garcia
Jeune mère au Pinpin : Françoise Gillard
Simon : Hippolyte Girardot
Maurice Begeard : Olivier Gourmet
Romain : Samir Guesmi
Pascale : Chantal Lauby
Client exigeant : Pascal Légitimus
Coursier : Manuel Le Lièvre
Médecin mufle : Thierry Lhermitte
Paul : Patrick Ligardes
Cliente au papier peint : Guilaine Londez
Client au paillasson : Michael Lonsdale
Mère de Marianne : Chiara Mastroianni
Lucie : Florence Muller
Voisine de palier : Agathe Natanson
M. Bretelle : Bruno Podalydès
Aimé Mermot : Denis Podalydès
Arthur : Nino Podalydès
M. Vérité : Benoît Poelvoorde
Habitant de l’immeuble d’en face : Eric Prat
Mère de Lucie : Catherine Rich
Autre joueur de backgammon : Claude Rich
Chanteur de métro idéal : Ridan
Deuxième dragueur : Elie Semoun
Client à la vis pour agglo : Bruno Solo
Policier : Didier Tronchet
Client au foret : Philippe Uchan
Cadre supérieur : Michel Vuillermoz
Soyez le premier à commenter cet article !
Enregistrer un commentaire