Le Petit Nicolas, de Laurent Tirard *

On se réjouissait de retrouver sur grand écran Rufus et son sifflet à roulettes, Alceste et ses gâteaux, Agnan et ses lunetts, bref Nicolas et toute sa bande de chouettes copains. Hélas, avec ce Petit Nicolas, Laurent Tirard confirme sa véritable vocation : affadir et rendre lénifiants les classiques de notre littérature comique.

Soit donc un Paris reconstruit, mi-montmartrois mi-banlieusard, que quelques détails datent des années 1970 mais qui, dans sa globalité, fleure bon les années 1960. Un petit garçon d’environ huit ans, nommé Nicolas, grandit paisiblement entre sa maison et son école, entouré de parents aimants et de camarades délicieusement turbulents. Jusqu’au jour où son copain Joachim annonce qu’il vient d’avoir un petit frère, et que c’est une véritable catastrophe. Nicolas apprend vite à reconnaître les signes avant-coureurs du drame et bientôt, il en est persuadé : il va lui-même avoir un petit frère…

Ce petit Nicolas-là est très alarmé à la perspective que quelque chose puisse changer dans sa vie, qu’il aime beaucoup telle qu’elle est — et c’est pourquoi il sèche misérablement sur un sujet de rédaction que la maîtresse croyait clément : raconter ce qu’il fera plus tard… Laurent Tirard semble bien partager ses vues ; il soigne sa reconstitution historique avec amour, la nettoie à l’ordinateur pour être bien sûr qu’aucune poussière ne demeure ; il autorise ses petits garçons à être décoiffés, mais guère à dénouer leur cravate. Telle scène dans un terrain vague convoque le souvenir de Tati, l’intérieur maniaque des parents peut évoquer le Wes Anderson de La Famille Tenenbaum, mais c’est sans le style du premier, sans la folie du second : la mise en scène, qui cherche parfois l’effet, trouve souvent la platitude. En fait de grandes références cinématographiques, la musique qui pastiche les orchestrations de Yann Tiersen nous emmène plutôt dans une version light d’Amélie Poulain et surtout, un caméo de Gérard Jugnot fait clin d’œil aux Choristes : sans vouloir insulter Christophe Rossignon, ce n’est pas l’Everest. Ancien collaborateur de Studio, Laurent Tirard a gardé toute l’onctuosité tiède de la revue, toute occupée à se figer elle-même dans la légende des numéros « collector ». Pas d’autre visée artistique que le soin artisanal, pas d’autre public que la famille réconciliée, pas d’autre horizon que la nostalgie. A vrai dire, en fait de comédie populaire rétro, nous sommes ici aux antipodes d’OSS 117, où Michel Hazanavicius touille sardoniquement les relents les plus pourris de la franchouillardise. La morale du Petit Nicolas, dérisoirement anachronique, c’est : Vive De Gaulle !

Bizarrement, le film fait une embardée à la fin, Nicolas annonçant subitement sa vocation de comique après avoir débité plus de vacheries en vingt-cinq secondes que dans les quatre-vingt minutes qui précèdent. Il semble que Laurent Tirard ait voulu montrer en Nicolas la personnification enfantine de son créateur René Goscinny, mais le résultat est tiré par la raie sur le côté de Maxime Godart.

Avouons-le : c’est toujours difficile d’adapter au cinéma un texte de Goscinny, du moins si l’on en juge par les résultats ; à vrai dire, hors films d’animation, seul l’Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat a su relever le défi — et on cherche ici en vain la patte de l’ex-Nul, pourtant crédité au générique. L’humour de Goscinny n’était jamais méchant ; mais pour autant il n’était pas fleur bleue ni exclusivement destiné aux enfants. Or Goscinny au cinéma, ici comme ailleurs, c’est souvent fade, sans entrain, sans ironie.

Et pourtant il y avait un beau défi. /mode agrégé/ Le Petit Nicolas, en effet, n’est autre qu’une résurgence destinée à la jeunesse de Ce que savait Maisie de Henry James, pas moins : la plupart des récits sont construits autour d’une série d’événements, rapportés par un regard enfantin qui en donne une certaine interprétation, mais qui laisse deviner, à travers les réactions des adultes — telles que Nicolas les rapporte — l’interprétation toute différente que ceux-ci peuvent en donner. /mode agrégé off/

Laurent Tirard parvient, à certains moments, à conserver ce double niveau ironique de compréhension de l’intrigue. A d’autres moments, on sombre dans la chronique émue de la jeunesse de garnements inoffensifs. De plus le dispositif a un revers : Nicolas n’est pas le personnage le plus intéressant de la bande, c’est essentiellement un narrateur, un témoin, même s’il fait quelques facéties à titre personnel, c’est vrai, quoi, à la fin, non mais sans blague. L’affiche qui présente Nicolas souriant et sage au milieu de ses camarades déchaînés avoue inconsciemment cette faiblesse du protagoniste.

Ce qui sonne le plus juste, c’est encore l’école, d’abord en raison de la réussite du décor de la salle de classe, mais surtout à cause d’un magnifique et inattendu duo d’acteurs : Victor Carles, qui joue Clotaire, le cancre de la bande, et Sandrine Kiberlain, qui joue la maîtresse ; dans leurs regards emplis de désarroi passe tout le tragique de l’incommunicabilité totale entre l’enseignant et l’enseigné. C’est tragique en effet, au point que Clotaire parfois va de son propre chef au piquet, pour faire gagner du temps à la maîtresse. Tragiquement drôle, donc. L’esprit du grand René souffle alors un temps sur le film.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h30
Date de sortie : 30 septembre 2009
Scénario : Laurent Tirard, Grégoire Vigneron, Alain Chabat
D’après les récits illustrés de : René Goscinny et Jean-Jacques Sempé
Assistant réalisateur : Alan Corno
Production : Olivier Delbosc, Marc Missonnier
Distribution des rôles : Agathe Hassenforder, Gérard Moulevrier
Décors : Françoise Dupertuis
Costumes : Pierre-Jean Larroque
Photographie : Denis Rouden
Son : Ricardo Castro, Paul Heymans
Montage : Valérie Deseine
Effets visuels : Benoît Philippon
Musique : Klaus Badelt
Chanson originale : Renan Luce

  • DISTRIBUTION
Nicolas : Maxime Godart
Alceste : Vincent Claude
Geoffroy : Charles Vaillant
Clotaire : Victor Carles
Agnan : Damien Ferdel
Rufus : Germain Petit Damico
Eudes : Benjamin Averty
Joachim : Virgile Tirard
Le papa de Nicolas : Kad Merad
La maman de Nicolas : Valérie Lemercier
La maîtresse : Sandrine Kiberlain
Le Bouillon : François-Xavier Demaison
Le directeur : Michel Duchaussoy
M. Moucheboume : Daniel Prévost
M. Blédurt : François Damiens
Mme Moucheboume : Nathalie Cerda
Albert : Eric Berger
Mlle Navarin : Anémone
Le ministre : Michel Galabru
Francis Leborgne : Serge Riaboukine
La fleuriste : Louise Bourgoin
Mme Courteplaque : Sophie-Charlotte Husson
La vieille dame : Françoise Bertin
Un médecin scolaire : Alain Sachs
L’oncle de Nicolas : Cyril Couton
Le chef de la chorale : Gérard Jugnot

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