The Informant !, de Steven Soderbergh * * *
Cela chatouille toujours un petit cœur citoyen de voir un homme seul et courageux se dresser contre une horde de capitalistes sauvages. C’est Tom Cruise dans La Firme ou, sur un mode plus réaliste, Russell Crowe dans Révélations. C’est Erin Brockovich dans un précédent film de Soderbergh ; si celui-ci repasse les plats avec The Informant !, également inspiré d’une histoire vraie, c’est pour nous révéler la véritable composition nutritionnelle de notre assiette, et les dessous imprévus de la cuisine.
Mark Whitacre a l’air si humble et si empoté, quand on le voit entrer dans les bureaux de la grande firme agroalimentaire où il travaille, qu’on ne soupçonne pas immédiatement sa place assez élevée dans l’organigramme. Il alerte un jour ses supérieurs sur l’espionnage industriel mené au sein de l’entreprise par un concurrent japonais ; le FBI est prévenu et, avec son accord, met sur écoute une de ses lignes téléphoniques pour piéger ses interlocuteurs nippons. C’est alors que Mark Whitacre, poussé par sa femme, fait une révélation sensationnelle à l’agent Brian Shepard : plusieurs sociétés internationales pratiquent une entente illicite sur les prix, à l’échelle mondiale. Le FBI lui demande alors de l’aider à obtenir des preuves.
Avec The Good german, Steven Soderbergh avait réalisé son film-des-années-1940 ; le côté « pastiche et postiche » du film n’était pas ce qui m’avait le plus convaincu. Ici, Matt Damon porte au moins un postiche, et Soderbergh s’est remis à pasticher : The Informant ! est son film-des-années-1970. Le plus curieux est qu’il se déroule essentiellement dans les années 1990, mais dès le lettrage du générique, dès les notes guillerettes de la musique, nous sommes avertis : nous voici quelque part entre une « fiction de gauche » dont la pellicule aurait tourné au sépia, et une bonne vieille série télévisée des familles. A vrai dire mes références, dans le chapeau de cet article, n’étaient pas gratuites : Mark Whitacre a lu La Firme de John Grisham, et vu plusieurs fois le film de Sydney Pollack, et joue à se croire le double de Tom Cruise dans ce dernier. On peut donc sérieusement se demander si The Informant ! n’est pas l’hommage potache de Soderbergh au très regretté Pollack, cinéaste vedette des années 1970 qui travaillait encore vingt ans plus tard ; les deux hommes s’étaient d’ailleurs retrouvés, comme producteurs, au générique de Michael Clayton de Tony Gilroy, un polar engagé tout à fait sérieux, et une autre dénonciation du cynisme des multinationales.
Mais si le scénario de The Informant ! semble au premier abord être écrit sur mesure pour donner un polar paranoïaque et vraiment flippant, on comprend vite que ni la femme, ni les enfants, ni la maison, ni même la (ou les) voiture(s) de Whitacre ne sont sérieusement menacés par les hommes de main cruels que les méchants capitalistes sont censés embaucher dans ces cas-là. Par contre on voit Whitacre aller et venir entre un extrême sang-froid et une irresponsabilité non moins extrême, sans toujours qu’on puisse faire la part de l’une et de l’autre. Ainsi, quand il ouvre sa mallette pour recaler son magnétophone qui vibre bruyamment, quasiment sous les yeux de ceux qu’il est censé enregistrer à leur insu, est-il d’une audace folle ou d’une absolue inconséquence ? De même on le voit accumuler les petits mensonges envers les agents du FBI. Signe de quoi ? Enfin sa voix off ponctue le film de petites remarques amusantes, souvent basées sur des faits véridiques. On s’attend à leur voir jouer un rôle de fables éclair venant illustrer tel ou tel aspect de la situation, jusqu’à ce qu’on se rende compte que… en fait, non, elles n’illustrent rien du tout.
Le pot aux roses se révèle petit à petit, mais jamais complètement, au point que lors de l’épilogue Soderbergh montre l’un des hommes du FBI — ici plus adeptes de la veste en tweed voire de la chemise à grosses rayures que de l’uniforme de men in black — s’interroger encore sur ce qui s’est vraiment passé, ou en tout cas sur le montant mis en jeu. Le dilettantisme affiché de l’auteur de Traffic a des limites, et l’on retrouve bien ici des thèmes essentiels dans son œuvre féconde en petits polars succulents, à commencer par la manipulation et la question de la responsabilité personnelle. On n’est pas loin non plus de Burn after reading, et de la distance de plus en plus grande qu’ouvraient les frères Coen entre le sérieux que les personnages attribuaient à la situation et son caractère réellement délirant. Il sera, ici, impossible de trancher : Whitacre n’est peut-être pas fiable, mais ses informations le sont. La vérité sort de la bouche du menteur.
C’est un bon point : The Informant ! se suit d’abord avec une curiosité doublée de sympathie pour le numéro époustouflant de Matt Damon, non seulement grossi d’une douzaine de kilogrammes (ce qui l’amène à peu près à mon format…) et affublé d’une moustache lamentable, mais surtout brillamment imprévisible en ce qui concerne la maturité de son personnage. Puis à mesure que le temps passe, le film devient de plus en plus drôle, en raison d’un humour véritablement glacé et sophistiqué, cérébral mais réjouissant.
C’est aussi la limite du film : produit de son époque et de quelques autres, concentré de questions qui taraudent actuellement un certain (bon) cinéma américain, il semble de bout en bout masquer la voix de son auteur. Encore une fois, Steven, tombez le masque ! enlevez donc votre moumoute !
Titre original : The Informant !
Durée : 1h47
Date de sortie : 30 septembre 2009
Scénario : Scott Z. Burns
D’après le livre de : Kurt Eichenwald
Production : Howard Braunstein, George Clooney, Kurt Eichenwald, Jennifer Fox, Gregory Jacobs, Michael Jaffe, Michael Polaire
Distribution des rôles : Carmen Cuba
Décors : Doug J. Meerdink
Costumes : Shoshana Rubin
Photographie : Peter Andrews aka Steven Soderbergh
Son : Larry Blake, Dennis Towns
Montage : Stephen Mirrione
Musique : Marvin Hamlisch
L’agent Brian Shepard : Scott Bakula
L’agent Bob Herndon : Joel McHale
Ginger Whitacre : Melanie Lynskey
Terry Wilson : Rick Overton
Mark Cheviron : Thomas F. Wilson
Mick Andreas : Tom Papa
Robin Mann : Ann Cusack
Aubrey Daniel : Clancy Brown
Kirk Schmidt : Eddie Jemison
Mark Whitacre a l’air si humble et si empoté, quand on le voit entrer dans les bureaux de la grande firme agroalimentaire où il travaille, qu’on ne soupçonne pas immédiatement sa place assez élevée dans l’organigramme. Il alerte un jour ses supérieurs sur l’espionnage industriel mené au sein de l’entreprise par un concurrent japonais ; le FBI est prévenu et, avec son accord, met sur écoute une de ses lignes téléphoniques pour piéger ses interlocuteurs nippons. C’est alors que Mark Whitacre, poussé par sa femme, fait une révélation sensationnelle à l’agent Brian Shepard : plusieurs sociétés internationales pratiquent une entente illicite sur les prix, à l’échelle mondiale. Le FBI lui demande alors de l’aider à obtenir des preuves.
Avec The Good german, Steven Soderbergh avait réalisé son film-des-années-1940 ; le côté « pastiche et postiche » du film n’était pas ce qui m’avait le plus convaincu. Ici, Matt Damon porte au moins un postiche, et Soderbergh s’est remis à pasticher : The Informant ! est son film-des-années-1970. Le plus curieux est qu’il se déroule essentiellement dans les années 1990, mais dès le lettrage du générique, dès les notes guillerettes de la musique, nous sommes avertis : nous voici quelque part entre une « fiction de gauche » dont la pellicule aurait tourné au sépia, et une bonne vieille série télévisée des familles. A vrai dire mes références, dans le chapeau de cet article, n’étaient pas gratuites : Mark Whitacre a lu La Firme de John Grisham, et vu plusieurs fois le film de Sydney Pollack, et joue à se croire le double de Tom Cruise dans ce dernier. On peut donc sérieusement se demander si The Informant ! n’est pas l’hommage potache de Soderbergh au très regretté Pollack, cinéaste vedette des années 1970 qui travaillait encore vingt ans plus tard ; les deux hommes s’étaient d’ailleurs retrouvés, comme producteurs, au générique de Michael Clayton de Tony Gilroy, un polar engagé tout à fait sérieux, et une autre dénonciation du cynisme des multinationales.
Mais si le scénario de The Informant ! semble au premier abord être écrit sur mesure pour donner un polar paranoïaque et vraiment flippant, on comprend vite que ni la femme, ni les enfants, ni la maison, ni même la (ou les) voiture(s) de Whitacre ne sont sérieusement menacés par les hommes de main cruels que les méchants capitalistes sont censés embaucher dans ces cas-là. Par contre on voit Whitacre aller et venir entre un extrême sang-froid et une irresponsabilité non moins extrême, sans toujours qu’on puisse faire la part de l’une et de l’autre. Ainsi, quand il ouvre sa mallette pour recaler son magnétophone qui vibre bruyamment, quasiment sous les yeux de ceux qu’il est censé enregistrer à leur insu, est-il d’une audace folle ou d’une absolue inconséquence ? De même on le voit accumuler les petits mensonges envers les agents du FBI. Signe de quoi ? Enfin sa voix off ponctue le film de petites remarques amusantes, souvent basées sur des faits véridiques. On s’attend à leur voir jouer un rôle de fables éclair venant illustrer tel ou tel aspect de la situation, jusqu’à ce qu’on se rende compte que… en fait, non, elles n’illustrent rien du tout.
Le pot aux roses se révèle petit à petit, mais jamais complètement, au point que lors de l’épilogue Soderbergh montre l’un des hommes du FBI — ici plus adeptes de la veste en tweed voire de la chemise à grosses rayures que de l’uniforme de men in black — s’interroger encore sur ce qui s’est vraiment passé, ou en tout cas sur le montant mis en jeu. Le dilettantisme affiché de l’auteur de Traffic a des limites, et l’on retrouve bien ici des thèmes essentiels dans son œuvre féconde en petits polars succulents, à commencer par la manipulation et la question de la responsabilité personnelle. On n’est pas loin non plus de Burn after reading, et de la distance de plus en plus grande qu’ouvraient les frères Coen entre le sérieux que les personnages attribuaient à la situation et son caractère réellement délirant. Il sera, ici, impossible de trancher : Whitacre n’est peut-être pas fiable, mais ses informations le sont. La vérité sort de la bouche du menteur.
C’est un bon point : The Informant ! se suit d’abord avec une curiosité doublée de sympathie pour le numéro époustouflant de Matt Damon, non seulement grossi d’une douzaine de kilogrammes (ce qui l’amène à peu près à mon format…) et affublé d’une moustache lamentable, mais surtout brillamment imprévisible en ce qui concerne la maturité de son personnage. Puis à mesure que le temps passe, le film devient de plus en plus drôle, en raison d’un humour véritablement glacé et sophistiqué, cérébral mais réjouissant.
C’est aussi la limite du film : produit de son époque et de quelques autres, concentré de questions qui taraudent actuellement un certain (bon) cinéma américain, il semble de bout en bout masquer la voix de son auteur. Encore une fois, Steven, tombez le masque ! enlevez donc votre moumoute !
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Titre original : The Informant !
Durée : 1h47
Date de sortie : 30 septembre 2009
Scénario : Scott Z. Burns
D’après le livre de : Kurt Eichenwald
Production : Howard Braunstein, George Clooney, Kurt Eichenwald, Jennifer Fox, Gregory Jacobs, Michael Jaffe, Michael Polaire
Distribution des rôles : Carmen Cuba
Décors : Doug J. Meerdink
Costumes : Shoshana Rubin
Photographie : Peter Andrews aka Steven Soderbergh
Son : Larry Blake, Dennis Towns
Montage : Stephen Mirrione
Musique : Marvin Hamlisch
- DISTRIBUTION
L’agent Brian Shepard : Scott Bakula
L’agent Bob Herndon : Joel McHale
Ginger Whitacre : Melanie Lynskey
Terry Wilson : Rick Overton
Mark Cheviron : Thomas F. Wilson
Mick Andreas : Tom Papa
Robin Mann : Ann Cusack
Aubrey Daniel : Clancy Brown
Kirk Schmidt : Eddie Jemison
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