Pars vite et reviens tard, de Régis Wargnier * * *
Au nom des admirateurs de Fred Vargas, auteur du roman dont s’est inspiré l’auteur d’Indochine, Judith exprimait naguère dans ces colonnes une certaine inquiétude a priori vis-à-vis du film. Nombre d’autres ont déploré un peu partout l’infidélité de l’adaptation. Quoi qu’il en soit, Régis Wargnier, cinéaste volontiers pompeux, a retrouvé une main plus légère, et réalisé un joli polar parisien.
A Paris, de nos jours, un crieur public, Joss Le Guern, donne lecture, au coin de la fontaine Stravinski, des messages qu’on lui confie moyennant un tarif très raisonnable. A plusieurs reprises, on glisse dans son urne des messages apocalyptiques rédigés dans une langue désuète. Ils attirent l’attention d’un vieil érudit, qui y reconnaît des annonces de la peste, et du commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, un policier mélancolique abattu par une rupture sentimentale. Or on retrouve un cadavre qui présente les symptômes légendaires de la peste. Un premier cadavre…
Adamsberg est un intuitif et, disais-je, un mélancolique ; non seulement parce que, comme on voit, sa vie amoureuse est en péril, mais par tempérament ; c’est un mélancolique au sens d’Aristote : un sombre rêveur, et un homme de génie ; il ne parvient jamais à connaître le nom de chacun de tous ses subordonnés, mais en revanche il est mû par des intuitions sensibles qui ne passent pas nécessairement par le raisonnement : voir le joli rôle que joue ici l’éclat d’un diamant.
Mère de ce curieux personnage, Fred Vargas est un auteur dont les polars se distinguent par leur poésie et leur humour, mais pas nécessairement par leur vraisemblance. Non que ses intrigues ne tiennent pas debout, mais elle travaille elle-même à leur donner un aspect décousu et fantastique. Il ne faut donc pas s’étonner si cette adaptation elle-même procède à quelques raccourcis surprenants, succédant à des stases d’incompréhension : c’est le rythme même de la pensée d’un Adamsberg particulièrement perturbé.
Malgré quelques afféteries très dispensables lorsque, selon les clichés du polar contemporain, il divulgue au spectateur quelques informations encore peu interprétables sur le coupable (noir et blanc, ralentis…), Régis Wargnier, qui n’est pas un humoriste, parvient à faire avancer son intrigue d’une façon tout à fait élégante. Son travail de caméra précis, parfois presque musical, basé sur des mouvements d’appareil qui révèlent toujours de nouveaux aspects de la situation, découpe un champ d’observation où José Garcia n’a plus qu’à jouer l’observateur, neutre, fermé, assez hitchcockien. Voir ce film après Jacquou est une leçon : il y a ici, un regard, même lorsque celui-ci se fait faussement neutre. De façon caractéristique, un certain nombre de personnages-clefs nous sont à peine présentés ; nous apprenons à les repérer, à reconstituer leurs histoires (aidés que nous sommes, certes, par le minois gillainesque). Au passage, Wargnier capture quelques tableaux convaincants du Paris actuel.
Durée : 1h55
Date de sortie: 24 janvier 2007
Scénario : Ariane Fert, Harriet Marin, Julien Rappeneau, Lawrence Shore, Régis Wargnier
D’après le roman de : Fred Vargas
Assistant réalisateur : George Every
Production : Cyril Colbeau-Justin, Jean-Baptiste Dupont
Décors : Olivier Radot
Photographie : Laurent Dailland
Son : Guillaume Sciama, Patrick Grisolet, Franco Piscopo
Montage : Yann Malcor
Effets visuels : Stéphane Bidault
Musique : Patrick Doyle
Hervé Decambrais : Michel Serrault
Joss Le Guern : Olivier Gourmet
Adrien Danglard : Lucas Belvaux
Marie : Marie Gillain
Damas : Nicolas Cazalé
Camille : Linh Dan Pham
Estalère : Marc Robert
Eva : Sophie Aubry
La grand-mère : Nadine Alari
Avec aussi : Jean-Pierre Becker, Dominique Bettenfeld, Mathias Mlekuz
Dans son propre rôle : Claire Chazal
A Paris, de nos jours, un crieur public, Joss Le Guern, donne lecture, au coin de la fontaine Stravinski, des messages qu’on lui confie moyennant un tarif très raisonnable. A plusieurs reprises, on glisse dans son urne des messages apocalyptiques rédigés dans une langue désuète. Ils attirent l’attention d’un vieil érudit, qui y reconnaît des annonces de la peste, et du commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, un policier mélancolique abattu par une rupture sentimentale. Or on retrouve un cadavre qui présente les symptômes légendaires de la peste. Un premier cadavre…
Adamsberg est un intuitif et, disais-je, un mélancolique ; non seulement parce que, comme on voit, sa vie amoureuse est en péril, mais par tempérament ; c’est un mélancolique au sens d’Aristote : un sombre rêveur, et un homme de génie ; il ne parvient jamais à connaître le nom de chacun de tous ses subordonnés, mais en revanche il est mû par des intuitions sensibles qui ne passent pas nécessairement par le raisonnement : voir le joli rôle que joue ici l’éclat d’un diamant.
Mère de ce curieux personnage, Fred Vargas est un auteur dont les polars se distinguent par leur poésie et leur humour, mais pas nécessairement par leur vraisemblance. Non que ses intrigues ne tiennent pas debout, mais elle travaille elle-même à leur donner un aspect décousu et fantastique. Il ne faut donc pas s’étonner si cette adaptation elle-même procède à quelques raccourcis surprenants, succédant à des stases d’incompréhension : c’est le rythme même de la pensée d’un Adamsberg particulièrement perturbé.
Malgré quelques afféteries très dispensables lorsque, selon les clichés du polar contemporain, il divulgue au spectateur quelques informations encore peu interprétables sur le coupable (noir et blanc, ralentis…), Régis Wargnier, qui n’est pas un humoriste, parvient à faire avancer son intrigue d’une façon tout à fait élégante. Son travail de caméra précis, parfois presque musical, basé sur des mouvements d’appareil qui révèlent toujours de nouveaux aspects de la situation, découpe un champ d’observation où José Garcia n’a plus qu’à jouer l’observateur, neutre, fermé, assez hitchcockien. Voir ce film après Jacquou est une leçon : il y a ici, un regard, même lorsque celui-ci se fait faussement neutre. De façon caractéristique, un certain nombre de personnages-clefs nous sont à peine présentés ; nous apprenons à les repérer, à reconstituer leurs histoires (aidés que nous sommes, certes, par le minois gillainesque). Au passage, Wargnier capture quelques tableaux convaincants du Paris actuel.
Il s’agit donc essentiellement d’une atmosphère, de la construction d’une aura de mystère que la fin, cruelle, se chargera de dissiper (non sans proposer une échappée romanesque où l’on reconnaît la patte de Wargnier). Les voix des acteurs, comme désaccordées par leur timbre et par leur rythme, sont une faiblesse de la distribution, en termes classiques ; mais le flûtiau de Marie Gillain, le cuivre rauque d’Olivier Gourmet, le violoncelle flamand de Lucas Belvaux, le hautbois brisé de Michel Serrault apportent au film, au bout du compte, une touche d’étrangeté supplémentaire.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- LIENS INTERNET
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h55
Date de sortie: 24 janvier 2007
Scénario : Ariane Fert, Harriet Marin, Julien Rappeneau, Lawrence Shore, Régis Wargnier
D’après le roman de : Fred Vargas
Assistant réalisateur : George Every
Production : Cyril Colbeau-Justin, Jean-Baptiste Dupont
Décors : Olivier Radot
Photographie : Laurent Dailland
Son : Guillaume Sciama, Patrick Grisolet, Franco Piscopo
Montage : Yann Malcor
Effets visuels : Stéphane Bidault
Musique : Patrick Doyle
- DISTRIBUTION
Hervé Decambrais : Michel Serrault
Joss Le Guern : Olivier Gourmet
Adrien Danglard : Lucas Belvaux
Marie : Marie Gillain
Damas : Nicolas Cazalé
Camille : Linh Dan Pham
Estalère : Marc Robert
Eva : Sophie Aubry
La grand-mère : Nadine Alari
Avec aussi : Jean-Pierre Becker, Dominique Bettenfeld, Mathias Mlekuz
Dans son propre rôle : Claire Chazal
6 Commentaires
20 juin 2008 à 16:59
Pourquoi diable Wargnier a-t-il adapté ce splendide roman de Fred Vargas ?
Je ne saurais le dire : pour moi, ça n'a pas de sens.
Mise à part une photographie soignée, le film n'a aucun intérêt (en tout cas pour le petit spectateur ayant lu le roman. Pour celui qui ne la pas lu, jimagine que le film doit être à peine passable.)
Déjà, côté distribution, déception. (Camille asiatique ! Marie interprétée par une Gillain mini-jupée, et Adamsberg par José Garcia avec son air de vache regardant passer les trains ! Ah non !!! )
La psychologie des personnages est à peine esquissée (alors que dans le roman cest LE moteur de l'atmosphère dramatique), du coup on se retrouve, dès le premier quart dheure du film, propulsé dans une histoire dont on ne connaît ni les personnages, ni leur histoire, ni leurs attaches, ni leurs liens, ni leurs motivations. Quel intérêt alors ? Raconter une intrigue policière ? Pas la peine daller au ciné, j'ai ma télé.
Pars vite et reviens tard mérite qu'on prenne son temps. Le film, tel qu'il est fait, ne laisse nulle place à l'identification, à l'émotion ni au désir : dénué de finesse et de suspense, il ne lui reste pas grand-chose. Ah si : le souvenir persistant du roman et l'envie de sy replonger pour oublier la médiocrité de ladaptation de Wargnier.
20 juin 2008 à 17:00
C'est vrai que la psychologie des personnages n'est pas développée. Mais il me semble justement que le film (je dis bien le film) prend comme sujet, précisément, l'opacité des comportements et des motivations.
Nous croisons les personnages sans faire toujours leur connaissance, et nous comprenons peu à peu leur place dans le tableau, avec quelques surprises.
Mini-jupe ou pas et asiatique ou non, les motivations de Marie et de Camille ne sont pas les moins mystérieuses. Cette dernière est même une figure de l'insaisissable.
20 juin 2008 à 17:00
Je suis entièrement d'accord avec Judith.
Wargnier n'a pas adapté le bouquin de Vargas, il lui a piqué son intrigue. Et pour éviter de passer pour un plagiaire, il a choisi de reprendre les noms des personnages. Ni vu ni connu, je t'embrouille, on dit que c'est une adaptatation...
Quand il a réalisé West Side Story, Robert Wise a eu la délicatesse de ne pas appeler cela Roméo et Juliette (et pas la peine, Etienne, de préciser que la comédie musicale existait déjà, je le sais, mais je reste dans le cinéma).
Je ne puis que conseiller à celles et ceux qui n'ont pas encore lu le livre de se jeter dessus. On ne se contente pas (comme Wargnier) de regarder les personnages évoluer, on vit avec eux. Ce sont des voisins. On fait partie de cette famille, de ce quartier. Publié en poche chez J'ai lu, il coûte le prix d'une place de cinéma (tarif réduit) et se relit avec plaisir, contrairement au film qui s'oublie avec bonheur.
20 juin 2008 à 17:03
Mon cher Fred, relis mon premier paragraphe et tu constateras que je n'ai jamais cherché à défendre le film en tant qu'adaptation fidèle du livre...
Faust de Murnau, Frankenstein de James Whale,
Monsieur Ripois de René Clément, Le Chien des Baskerville de Terence Fisher, La Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud, Sleepy Hollow de Tim Burton sont également des trahisons sanglantes et sans scrupules des livres (eux-mêmes fameux, je fais exprès de ne pas tenir compte de textes de deuxième ordre) qui les ont inspirés, et dont ils portent le titre (je n'évoque pas ceux qui les changent).
Ce sont pourtant de très beaux films.
20 juin 2008 à 17:03
Tu noteras, Etienne, que je ne dis en aucun cas que ta critique est à côté de la plaque. Je ne doute pas que mon admiration pour l'oeuvre de Vargas ait altéré mon jugement. J'estime simplement que ce bouquin aurait pu donner un film merveilleux au lieu de ce polar qui m'a ennuyé profondément.
20 juin 2008 à 17:04
Ah. Alors, ce n'est plus une critique.
C'est un projet.
:)
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